Sunday, March 09, 2014

Naoto Matsumura est-il vraiment le dernier homme de Fukushima?





Cette aventure de Naoto Matsumura tient-elle du film de Kurozawa "Dersou Ouzala" ou au contraire nous plonge-t-elle dans le "Kagemusha, l'ombre du guerrier 影武者" de l'Ere moderne? L'affaire de Matsumura est, vue d'ici, sujette à caution. L’homme a été instrumentalisé* par les medias et les éditeurs mais aussi par les groupes anti nucléaires, eux aussi en désaccord sur cette visite en Europe et sur ce qui concerne le nucléaire, disent les critiques de cette visite européenne de Naoto Matsumura.

Pourquoi? Matsumura est un éleveur japonais, assez simple, un peu rude, voire atypique, isolé, mais bien sympathique et têtu qui vivait dans une région en s’accommodant très bien de la proximité des installations nucléaires de Fukushima, et comme beaucoup de gens, au Japon, a placé son intérêt personnel dans le droit chemin de celui suivi alors par les collectivités locales. Or depuis le 11/3/2011 Matsumura a été utilisé, placé au centre des querelles entre groupes anti nucléaires, et aussi des proches du parti de Shinzo Abe, le parti libéral démocrate aux affaires. Car nombreux sont ceux et celles qui estiment que son expérience permet de prouver qu’on peut continuer de vivre dans une région contaminée par un accident nucléaire, malgré les risques, malgré les zones interdites pour cause de radiation.

La méconnaissance générale de l'effet des radiations produit des réactions schizophrènes. Dans les médias on a vu l’impact, les exagérations, les erreurs ou les mensonges, souvent en raison des erreurs et le fonctionnement opaque de Tepco et de l'industrie nucléaire, si timide...  Les écologistes s’en sont donnés à coeur joie, parfois en exagérant tellement qu'on ne sait au Japon aujourd'hui qui croire? Eux, l'AIEA, l'OMS qui ne fera pas une analyse sans lui en référer, les politiques, les gens de la rue. Quiconque s’oppose aux anti nucléaires est soupçonné d’être un ardent défenseur du dogme énergétique et dissuasif. La vérité est sans doute au milieu. Et tandis que les projecteurs pointent sur Fukushima, et ignorent les 260 000 victimes sans abris depuis le "311", voila ce que dit un grand spécialiste de Three Mile Island et de Tchernobyl, sur l'accident de Fukushima et cette visite de Matsumura:

“Il est clair que Matsumura ne risque pas grand chose, sauf à aller se gaver de champignons et de baies sauvage, et encore, car vu son âge le seul risque est un cancer d'ici vingt ans ou plus.

[Mais l'idée préalable est que rester dans cette zone contaminée va vous tuer à brève échéance, est peut être inexacte, mal documentée, et pour cause, ces accidents sont rares. NDAGB]

Alors que penser in fine ? Sinon que décidément on exagère le danger des radiations et que les évacuations ne sont justifiées que par une angoisse irraisonnée. C'est ainsi que la venue de Matsumura et ses interventions publiques seront ressenties plus ou moins consciemment. Le lobby ne fera rien : trop casse-gueule.

Cet épisode perturbe considérablement, même si par esprit d'escalier quand on y repense après, le travail d'information aussi rigoureux que possible que nous menons.

Bien entendu beaucoup sont opposés à toute contestation publique des initiatives de Matsumura. Laissons le temps effacer cette péripétie. Après tout, 28 ans après Tchernobyl les enfants sont toujours contaminés et malades et l'usage par la propagande de l'exemple des vieux restés ou retournés en zone interdite en 1987-88 n'a pas convaincu grand monde.

On peut être anti-nucléaire et mal doser un projet. Je pense que c'est un reproche qu'il n'est pas totalement injustifié de faire à certains journalistes, photographes ou télévisions qui ont “envahi” le terrain du post Fukushima. S'ils connaissent bien le Japon, pour y avoir séjourné, peu de traces sur internet ou aucune publication sur l'énergie atomique n’ont été signé par la majorité d’entre eux.

[Si une catastrophe se produisait aux Etats Unis, qui depuis TMI a modifié ses lois et comportements les réactions seraient différentes poursuit mon interlocuteur] On a là un bel exemple du système de contrôle américain, ouvert, pluraliste et compétent. Rien à voir avec ce qui s'est passé à Tchernobyl ou au Japon, où la défense des intérêt politico-administratifs et industriels a prévalu.” Fin de citation.

Il est beaucoup d’exemples sur les manipulations qu’il faudrait exposer. Le Japon est une société complexe en permanence dans la dualité, pris entre deux intentions d'agir, l’intention réelle et la position publique 本音 と 建前 “honne” et “tatemae” dicté par la culture et l'éducation. Tout et son contraire y sera argumenté au nom d’une passion pour le discours émotif, très encouragé par les médias japonais, mais aussi, quelle évidence (!)  par une construction intellectuelle très différente de l’Europe du Moyen Orient ou des Etats-Unis.

Cela ne tient pas qu’au discours économique, industriel et scientifique. La stupéfaction a été grande lorsque le monde entier a découvert que les Judokas ou les Sumotoris japonais étaient violentés, brimés, blessés par leurs maitres Japonais, parfois il y a eu mort, y compris pour des aspirants champions Olympiques, avec l'aval des observateurs peu attentifs ou si peu rigoureux. Le Japon est si fort et si généreux pour accommoder le monde entier. Une extrême politesse qui masque une  extrême violence? “C’est étrange comme l'esprit humain oscille, et fait le va-et-vient d'un extrême à l'autre” écrivait Graham Greene.


*L'anecdote dans le bois de Fontainebleau, lors du voyage actuel en Europe, est bien à l'image de Naoto Matsumura et est citée dans l'article d'Olivier Nouaillas de La Vie "Le dernier homme de Fukushima est parmi nous" http://tinyurl.com/La-Vie-NaotoMatsumura


** J’espère que les amis de Naoto Matsumura vont lui faire passer un bilan de santé radioactif lors de son séjour en France, Allemagne et Suisse…

2 comments:

  1. le 9 Mars 2014
    Bon, voilà un point de vue maîtrisé, au dessus de la mêlée. Naota Matsumura est devenu autre malgré lui. Il lui a fallu digérer les conséquences non maîtrisées de la supériorité de l'homme, enfin, de l'homme technique. Une question de degré, inquiétant quand celui-ci fait abstraction de l'art, de la musique et de la littérature, seuls à nous différencier de toutes autres espèces confondues. Il a reconnu et ressenti cette autre souffrance, celle de "Une partie mémorielle" de nous-mêmes" Michel Onfray - texte inédit, extrait dans Anthologie d'éthique animale (PUF) Jean-Baptiste Jeangène Vilmer. La question qui ne se posera donc jamais : Comment dans l'avenir accompagner dignement let sans distinction ceux qui souffrent. L'assistance aux uns n'exclut pas celle des autres. Il s'agit de respect tout simplement bien au delà de tout commerce de sensibleries.

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  2. Merci pour tout, Monsieur Legendre-Koizumi, vraiment.

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